Si au moins ces cons nous laissaient du fric pour picoler…

« Je suis le Daniel’s agacé qui sommeille en Jack »

Le matraquage fiscal existe. Loin de porter sur les revenus des footballeurs, il concerne les buveurs de whisky. A vrai dire, il concerne aussi les buveurs de vodka, de gin, de rhum, de téquila, de champagne, d’armagnac, de cognac, de calva, de pastis, etc. Et même, depuis peu, les buveurs de bière se sentent concernés. Heureusement, même si l’on a de quoi se plaindre parfois de nos journalistes locaux, il semble qu’ils tournent davantage au whisky qu’au vin rouge. Les échos ont donc opportunément souligné le scandale national qu’est la surtaxation des spiritueux, titrant avec rage (je les comprends) « Le whisky taxé 62 fois plus que le vin« . Oui, 62 fois, les bâtards… Et si j’ai une préférence indéniable pour le whisky, je tiens à préciser que je suis un type ouvert. Je bois à peu près de tout, dont du vin (et pas depuis que c’est à la mode dans les bars à vin bobos où, soit dit en passant, faites gaffe, on mélange parfois les fonds de bouteille pour vous en fabriquer une nouvelle ; oui…). Je ne veux pas diviser les pochtrons, je veux juste pointer du doigt le fait que le pouvoir en discrimine certains.

On connaît une raison évidente de ce fait. Le clientélisme de nos chers élus locaux, de notre bon terroir moisi, de la campagne profonde, chiante, rétrograde et parfois sympathique, fait passer les intérêts économiques des uns avant les grands principes de santé publique, avec lesquels on nous fait pourtant chier à longueur de journée. « 5 fruits et légumes », je veux bien, mais je n’avais pas compris que ça passait par le raisin fermenté, même si, comme tout le monde un jour, j’ai pu sortir la fameuse vanne « Oh, moi, c’est sûr, je les fais les 5 fruits » (en général, quand je sors une niaiserie de cet ordre, c’est que je suis à jeun ; ce qui arrive souvent, hélas). Bref, au nom d’une connerie pseudo culturelle et économique, on taxe peu le vin. Il y a même pire : quand tu tiens un établissement quelconque, tu as le droit de servir du vin et de la bière, pas du whisky. Wé, y a une réglementation très stricte et jugée imparable (je vous laisse en prendre connaissance ici). Mais l’arithmétique est implacable : avec une bouteille de vin entière absorbée, la plupart des gens sont bourrés, ça prend juste un poil plus de temps que de boire l’équivalent en whisky. Bref, on a compris, on taxe peu le vin, ça arrange.

Voici quelques éléments statistiques récents tirés d’un article du Figaro. C’est le vin qui domine le marché. Tu m’étonnes… L’autre point important, c’est que malgré la mode des grands verres (bien vides) dans des endroits cosy et smart, la consommation en volume ingurgité a tendance à baisser. Bon, 59 litres par an et par habitant, je cache pas que c’est au dessus de ce que j’aurais annoncé. Mais c’est plus faible qu’avant, malgré la sous-taxation. On notera au passage que le chiffre d’affaires augmente, ce que l’article assimile à une montée en gamme. On peut aussi penser que c’est juste du foutage de gueule marketing et que la bibine est toujours aussi dégueulasse en moyenne, mais admettons… niveau recettes fiscales, ça ne change pas grand chose, en tout cas.

C’est là qu’interviennent les spiritueux sous un autre angle. S’ils sont autant taxés, c’est qu’on est prêt à payer pour ça. Un économiste dira que l’élasticité directe de la demande est faible pour ce genre de bien. Quand le prix augmente, la consommation ne baisse pas beaucoup. Le meilleur exemple est le champagne. Comme le raconte l’article des échos, alors que c’est lui-même un vin (spécial, certes, je ne suis pas un barbare mais j’ai remarqué que niveau grammage, c’était un truc de fillettes), le vin est taxé 2,5 fois moins que le champagne. Si c’est pas une histoire d’élasticité là derrière, je veux bien qu’on me prive de Champomy et de Get 27 jusqu’à la fin de mes jours.

L’idée est donc qu’en plus de favoriser la filière viticole pour des raisons diverses, on joue sur la faible élasticité des consommateurs de spiritueux pour engranger des recettes fiscales. Car, si la taxation des consommations nocives est supposée réduire les coûts sociaux divers engendrés par cette consommation (coût du système de santé et autres dégâts collatéraux variés), tout le monde sait aussi qu’une taxation optimale nécessiterait de couvrir simplement ces coûts. Ce qui est fait bien au delà, laissant la voie à une théorie cynique de l’État que je vais faire mienne pour le coup : ces enflures nous pompent notre fric. Aucun ministre de la santé n’attend réellement que la consommation d’alcool baisse. Aucun ministre du budget n’ose envisager un pareil drame. Et, de ce point de vue, surtaxer les alcools les plus marrants, les alcools forts, est une bonne idée. D’autant plus qu’elle est compatible avec la défense des bouseux viticoles.

Vous vous dites que tout ceci manque de preuves empiriques. D’une part, regardez mon front, y a pas écrit Esther Duflo ici (super économiste qui fait un travail empirique de fourmi). D’autre part, les jeunes dont il est question dans l’article du Figaro, qui se pochtronnent comme des gagas le samedi soir… vous croyez que c’est dans les bars à vin ? Tiens, un peu d’ethnographie… Je connais un endroit où la direction a tenté de rameuter les gamins le samedi soir sans licence IV. Aux dernières nouvelles, il n’y a pas la queue aux toilettes dans ces soirées. Ni au bar. Parce que ce que veulent les binge drinkers, c’est de la vodka Red Bull, pas de l’adelscoooooott ou du cabernet.  Red Bull ? Oh, tiens, comme c’est étrange… c’est pas le produit qui a été taxé en octobre dernier ? Mais oui, pour que sa consommation baisse, sûrement. Et moi je suis la réincarnation de Jim Morrison sevré.

Mais laissez moi terminer sur une anecdote autobiographique (de toute façon, je fais ce que je veux, donc je vais le faire). Quand j’étais jeune, j’avais quelques amis qui aimaient, comme moi, le whisky. Spontanément. Mais le bon whisky était cher, vous savez pourquoi. Nous devions donc, pour trouver un équilibre entre volume et qualité, nous limiter à certains types de whiskies de qualité moyenne, ne roulant pas sur l’or sans être totalement fauchés (au fait, le savez-vous ? le whisky Grant’s, qui est vraiment peu cher, est un des meilleurs whiskies d’entrée de gamme ; c’est la maison Glenfiddich qui le produit, la forme de la bouteille en atteste. Oubliez le JB pour vos whiskies coca, beurk…). Le bon whisky, c’était rare. Mais le moyen est pas si mal quand on n’est pas connaisseurs, hein… Donc, en fin de compte, plutôt que de faire de nous précocement des amateurs, on nous a incité à picoler pour pas trop cher. Aujourd’hui encore, même si j’ai rattrapé mon retard, j’ai de sérieuses lacunes. J’en veux à l’État.

Et forcément, je pense à ce film, qui m’a réconcilié avec Ken Loach, dont les niaiseries à deux balles avaient fini par me saouler. Ce film, c’est « La part des anges« , qu’il faut absolument voir ; et absolument en VO.

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